Chemins brisés : chapitre 3

Publié le par Gaëlle K. Kempeneers

Mu

 

Dans son sommeil, Camus s’est lové autour de moi, ses bras enserrant ma taille en une étreinte farouche et impossible à desserrer, à moins de vouloir le blesser. Je n’essaie pas bien longtemps de me libérer et me résigne à attendre patiemment son réveil. Au fond, ce n’est pas du tout désagréable ; voilà des années que l’on ne m’a pas tenu de la sorte même s’il s’agit aujourd’hui d’une réaction angoissée. Au final, je trouve que mon compagnon a plutôt bien réagi par rapport à moi lorsque la même chose m’est arrivée. Évidemment, à l’époque, je n’étais encore qu’un enfant et la mort brutale de mon maître m’avait déjà passablement ébranlé. Je frissonne violemment comme des souvenirs indésirables remontent à la surface et passe la main devant mes yeux. Je ne veux pas y repenser. Je ne dois pas si je veux me montrer suffisamment solide pour aider mon compagnon.

Ce dernier gémit doucement et enfouit davantage son visage dans mon giron. Je me demande soudain si je serai à la hauteur, après tout je ne suis pas la personne la plus sociable qui existe au sein de la chevalerie. Comment arriverai-je à communiquer réellement sur le plan des émotions avec un homme que je ne connais au fond pas vraiment. Je ne sais rien de lui, de son enfance, de ses goûts, de sa manière de penser… J’ai grandi isolé des autres d’abord par mes dons psychiques qui les effrayaient puis, par mon exil loin du Sanctuaire. Kiki, du haut de ses dix ans, en sait plus que moi sur le monde des hommes et l’unique fois où je me suis rendu dans une ville humaine – et non dans un village archaïque du Tibet ou de Grèce –, je me suis senti tellement désorienté que j’ai littéralement pris la fuite. Le passé a apposé sa marque sur moi et ne semble pas vouloir me laisser lécher mes blessures en paix, je suis un solitaire, avec peu de véritables amis. Seuls Aldébaran et Aiola se sont donnés la peine de chercher à me connaître, Shaka aime me parler philosophie et théologie, quant à Shiryu, il me voue une véritable adoration, plutôt gênante en fait. Et puis, il y a Kiki, évidemment. Sans lui, voilà longtemps que je me serais laissé sombrer dans la folie… Comment suis-je censé agir avec Camus ? Je n’en ai pas la moindre idée !

Contre moi, il change de position et se réveille graduellement. Je redoute et anticipe l’explication à fournir, cependant, sa première question me prend au dépourvu.



« Tu le connais, n’est-ce pas ? »



Je cesse brusquement de jouer avec ses cheveux et me raidit. Je sais à présent ce que ressentent les bêtes traquées, c’est un sentiment désagréable et par trop familier.



« Camus… »



« Tu le connais ! »



Son ton se fait accusateur et je flanche comme s’il m’atteignait physiquement. L’étreinte de ses bras se desserre et je frissonne sans pouvoir m’en empêcher, j’ai froid. Il se met tant bien que mal à genoux et me fixe avec méfiance.



« Oui. »



Je ne peux pas non plus lui mentir, je lui dois la vérité.



« Oui, je le connais. »



Ma voix tremblote lamentablement et j’inspire profondément pour la stabiliser.



« Je n’aurais jamais imaginé qu’il s’en prendrait à un humain… C’est… C’est compliqué à expliquer. »



« J’ai tout mon temps. »



Le Français commence à s’échauffer. Je le comprends. En fait, je m’en veux un peu de l’avoir sous-estimé. Malgré son état de faiblesse, il garde cet esprit acéré qui a si souvent fait toute la différence lors de ses combats. Je me lève lentement et il me fixe avec suspicion, craignant probablement que je batte en retraite hors de la chambre. Ce n’est pas mon intention. Sans mots dire, je laisse le voile de ma tenue glisser à mes pieds. Elle ressemble à celles que Shaka porte, je le sais bien mais en beaucoup plus épais, afin de me protéger du froid qui règne sur les hauts plateaux du Tibet. En dessous, je ne porte qu’un pantalon de toile lâche et une tunique toute simple aux manches courtes. Je m’immobilise soudain, les doigts sur les lacets du vêtement. Seul Aldébaran m’a déjà vu déshabillé, lorsqu’il a pris soin de moi après un combat éprouvant bien des années auparavant. C’est stupide mais je suis pudique.



« Tourne-toi, Camus. Juste un instant. »



Je ramasse une couverture que je tiens devant moi avec hésitation. Mon compagnon semble penser que je fais des manières mais obtempère malgré tout. Ma respiration s’accélère légèrement tandis que je retire mon habit et revêts la couverture, m’en entourant telle une armure.



« T… Tu peux regarder maintenant. »



Il se tourne vers moi avec impatience avant de froncer les sourcils.



« Mu ? »



Il n’est plus agacé mais semble inquiet. Je tremble de plus belle avant de secouer fermement la tête.



« Regarde bien, je ne te le montrerai pas deux fois. »



Je lui tourne le dos et laisse descendre le tissu jusqu’au creux de mes reins et tandis que je le maintiens en place d’une main sur mon torse, je relève mes cheveux de façon à dégager ma nuque. Je l’entends ravaler son air, un peu choqué.



« Mu… »



Ca ne m’étonne pas, je sais ce qu’il voit. Sur toute de la surface de mon dos, une scène est scarifiée, sculptée à même la chair, travaillée jusque dans les moindre détails. Elle représente un corbeau enserré dans les anneaux de deux dragons qui se disputent leur prise. Je sursaute en sentant des doigts frais effleurer ma peau et fait volte face pour me retrouver nez à nez avec mon compagnon. La couverture glisse de mes doigts gourds pour s’entortiller à mes pieds à la manière d’un serpent. Ca valait bien la peine de faire des chichis mais je n’accorde aucune pensée à ce point. Maintenant est venu le temps des explications.



« Lorsque Saga a tué Shion, je me suis exilé à Jamir car il s’agit de ruines de mon peuple. C’est même un peu plus que ça mais ce serait trop compliqué de tout te raconter et hors sujet. Pour faire simple, je suis à la fois le gardien de la première Maison du Sanctuaire et… des reliques des miens qui sont entreposées ici. »



Les Atlantes, une grande civilisation reléguée au rang de mythe par les humains.



« Celui qui t’a… agressé… »



Ma gorge se noue soudain et mes lèvres remuent sans produire de son un long moment. C’est trop dur, je ne veux pas revire tout ça !



« … Est également celui qui… a gravé mon dos. »



Choqué, Camus vacille mais fuit mes mains lorsqu’elles se tendent vers lui.



« Qui est-il ? »



C’est un grondement, venu du plus profond de ses tripes, et je ferme tristement les yeux en sentant sa colère qui menace de se transformer en haine.



« Un Atlante. »



Il garde le silence, méfiant comme un fauve devant un serpent.



« Si ça peut te consoler, il ne fait pas partie de mes amis. Il… Il m’a tué lorsque j’avais dix ans avant de me ramener à la vie. C’est de cette manière qu’il s’approprie une partie de l’esprit de ses victimes. »



Je m’agenouille brusquement et ramasse mes vêtements que je serre contre moi, je me sens terriblement vulnérable ainsi torse nu. Tout à coup, je sursaute comme le Français s’accroupit à son tour.



« Je ne comprends pas. »



« Il faudrait être Atlante pour le pouvoir. »



Il ne réplique pas et se contente de me regarder d’un air buté. Je soupire avec lassitude.



« Au sein de mon peuple, il existe deux factions. L’une préfère continuer à ne pas côtoyer les humains et l’autre veut récupérer sa place au soleil. »



Il semble surpris et je secoue à nouveau la tête, cette fois avec un brin de colère.



« Nous ne souhaitons pas nous exposer à de nouvelles chasses aux sorcières. Tu ne t’es jamais demandé s’il existait d’autres Atlantes que ceux qui se trouvent dans la Chevalerie ? »



Il refuse de mordre à l’hameçon et d’entamer une dispute qui nous détournerait du sujet.



« Jamir est une entrée pour accéder à l’un des refuges de mon peuple. Kaalmi a sous ses ordres plusieurs guerriers mais ils ont tous été bannis. S’ils le pouvaient, ils soumettraient les humains mais ils ne sont pas encore assez nombreux et ils auraient besoin de notre technologie pour arriver à leurs fins. Leurs seuls pouvoirs bien qu’impressionnants ne pourraient venir à bout de l’humanité toute entière et encore moins des chevaliers s’ils s’unissent contre eux. »



« Pourquoi s’en est-il pris à moi ? »



« Sans doute pour t’affaiblir mais surtout pour me faire passer un message, je pense. Il a profité du fait que tu n’étais pas dans ton état normal pour s’en prendre à toi… Il… Il est très fort. »



C’est probablement l’euphémisme du siècle mais je ne remarque plus rien. Je tremble si fort que les vêtements me glissent des doigts. Ma vision se brouille et la nausée menace de me submerger, tandis que d’horribles souvenirs dansent dans mon esprit, semblant me narguer.



« Si je comprends bien, il t’a torturé lorsque tu étais enfant… mais pourquoi ne t’a-t-il pas obligé à l’époque d’ouvrir le passage qui mène aux tiens ? »



La main de Camus trouve la mienne, elle est ferme malgré la faiblesse due à ses blessures et sa fraîcheur me calme un peu.



« Je… Je ne sais pas… Probablement qu’il estimait que son armée n’était pas assez développée… Peut-être qu’il voulait juste s’amuser. »



Étrangement, toute colère semble l’avoir déserté, il m’observe avec quelque chose comme de la compréhension, de la compassion, même. Le chevalier du Verseau est-il capable d’éprouver de tels sentiments. Non, je suis injuste. J’ai constaté toutes les palettes d’émotions dont il est capable…



« Je suis désolé qu’il t’ait pris pour cible. J’espérais sincèrement qu’il n’oserait pas s’en prendre à un chevalier adulte… »



« Je… »



Il semble perdu, désorienté.



« Je suis en colère mais… Je n’arrive pas à t’en vouloir… J’imagine ce que ça a dû être pour un enfant et pour être honnête… je me sens un peu minable. Si tu as pu surmonter cette épreuve… »



« Je ne l’ai pas surmontée, Camus. J’ai juste survécu. Je suis terrifié à la simple pensée qu’il pourrait s’en prendre à nouveau à moi mais… A l’époque, j’étais seul. Le Vieux Maître venait de prendre des apprentis, j’étais de trop. C’est dur de devoir faire face tout seul. Je ne pouvais pas te laisser te démener en solitaire mais je me rends compte que je ne peux pas t’aider parce que… Parce que moi-même je ne me sens pas à la hauteur. Je ne sais pas quoi faire. Je… Je vais appeler Shaka qu’il vienne te chercher.



Je vais pour me lever et fuir à nouveau mais il me retient avec plus de forces que je ne l’imaginais doté dans son état.



« Non ! »



« Mais… »



Qu’est-ce qui lui prend ? Je ne peux rien pour lui, pas plus que je ne peux lutter contre la terreur qui m’envahit.



« Non ! Je… Je ne comprends pas, Mu. Mais je te suis reconnaissant. Je ne veux pas voir les autres… Je ne pourrai pas leur faire comprendre. »



Je voudrais qu’il se taise, je ne veux pas de cette responsabilité !



« Toi… Tu comprends. »



Il se mordille les lèvres, incertain et serre mes mains dans les siennes avec une touche de désespoir qui s’accorde avec le mien.



« Si tu le veux bien… Nous surmonterons les actes de ce Kaalmi, ce bourreau d’enfant, à deux. »



Camus, le chevalier des glaces, me jette alors un regard farouche, brûlant d’une détermination ardente. Tandis que mes larmes coulent à nouveau, je me dis que peut-être l’horizon qui se dessine devant moi n’est pas si sombre que cela.


********************


3ème chapitre en ligne... ça me fait penser qu'il serait temps que je me mette sérieusement à écrire le 7ème... -_-

 

Publié dans Fic_Sts

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B
<br /> c'es très. bien Gaelle, tu as vraiment beaucoup d'imagination pour écrire toutes ces histoires. Tu devrais essayer de trouver un éditeur pour les faire publier.<br /> <br /> <br />
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